Regard de Julien Steiner, historien biennois

Dans le cadre de mes études d’histoire à l’Université de Lausanne, j’ai consacré mon travail de licence à la politique biennoise et plus particulièrement à celle de la période dite de la « Bienne rouge », soit ces années de l’entre-deux-guerres qui ont vu le Parti socialiste conquérir puis diriger la ville. Au fil de mes lectures, des archives et documents que je découvrais, j’arrivais à me faire une idée des motivations des militantes et militants de cette époque, de leurs idéaux. Toutefois, en raison de la qualité des sources, de la distance temporelle et d’une certaine personnalisation de la politique autour de quelques figures, leurs vies au quotidien restaient relativement floues et intangibles.

Alors, quand des militantes et militants biennois actifs au sein de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR) dans les années 1970 et 1980 m’ont demandé de les aider à raconter, retranscrire et faire vivre « leur » histoire, j’ai vu l’opportunité de combler une lacune dans ma perception et compréhension de ce que doit être une histoire de l’engagement politique. Non pas que je plaçais la motivation et les convictions de ce groupe dans le même paquet que celles des militantes et militants socialistes de la première partie du 20e siècle – je suis bien trop conscient des différents courants qui ont divisé la gauche – mais bien parce qu’elle m’offrait l’opportunité d’entendre de vive voix les petites histoires, les souvenirs personnels et les émotions qui rendent si humaines l’aventure et l’histoire politiques.

J’ai ainsi eu la chance de rencontrer, écouter et découvrir des personnes qui ont consacré leur jeunesse au service d’une cause surpassant tout le reste. Leur engagement sans faille, réprimé par les autorités, s’est traduit par des nuits passées à coller des affiches, à des levers aux aurores pour distribuer des tracts devant les usines, à des séances interminables et, plus fascinant encore, à des choix de vies privée et professionnelle dédiées au seul et unique combat du socialisme révolutionnaire.

Grâce à un énorme travail effectué pour rassembler souvenirs, affiches et journaux de l’époque, photos et agendas personnels, la vie politique et privée de ce petit groupe et, partant, de la société biennoise durant une petite vingtaine d’année, s’est révélée. Elle est désormais à disposition de toutes et tous sur une plateforme en ligne, offrant ainsi non seulement aux historiens et historiennes la possibilité d’avoir accès à des sources de première main, mais également aux militantes et militants d’aujourd’hui et demain de s’inspirer des combats de plusieurs vies, avec les succès et les échecs qu’elles ont connus.

 

Julien Steiner, septembre 2024