Socialisme et barbarie

Ce texte se réfère à des concepts théoriques et historiques propres à la tradition marxiste et à la LMR/PSO. Il a pour objectif de résumer les fondements de l’engagement des militant.e.s de la LMR/ PSO, à Bienne et ailleurs.

                                                                           

Socialisme ou barbarie : bref rappel des fondements théoriques de la LMR/RML 

 

Ce texte se réfère à des concepts théoriques et historiques propres à la tradition marxiste et à la LMR/PSO. Il a pour objectif de résumer, très succinctement, les fondements de l’engagement des militant.e.s de la LMR/ PSO, à Bienne et ailleurs.

Dans la brochure écrite sur la crise de la social-démocratie en 1915, Rosa Luxemburg formulait une conception de l’histoire selon laquelle il ne s’agissait pas d’attendre que le fruit murisse, selon des lois prétendument « naturelles » de l’économie et de l’histoire, pour que le capitalisme soit renversé, mais qu’il fallait agir avant qu’il ne soit trop tard : l’autre branche de l’alternative étant la barbarie. Malheureusement l’histoire du 20ème siècle a totalement donné raison à cette prophétie.

La nécessité et l’urgence d’une révolution par en bas

C’est la compréhension de cette urgence qui était largement partagée par les membres de la LMR/PSO, à Bienne comme ailleurs, lorsqu’ils. elles se sont engagé.e.s dans les années 70 et 80. Nous étions tous et toutes conscient.e.s de la  nécessité impérieuse de changer le monde, faute de quoi celui-ci sombrerait dans les désastres, les guerres et les dévastations les plus effrayantes. C’était là le socle de notre engagement politique, et expliquait pourquoi nous nous consacrions corps et âme à l’activité politique. L’alternative que représentait Rosa Luxemburg était un socialisme authentiquement révolutionnaire et radicalement démocratique. Il a pour nom le socialisme autogestionnaire et s’était concrétisé, notamment et rarement dans de courtes périodes historiques, de la Commune de Paris (1871) au soulèvement de 1956 en Hongrie, dans des expériences de conseils ouvriers et d’autogestion qui ont existé, de manière limitée, dans la révolution russe (1917), allemande (1918-23), en Espagne durant la guerre civile (1936-39), ou lors du Printemps de Prague  (1968). C’est un socialisme par le bas pour lequel nous nous battions, un changement radical, porté collectivement et démocratiquement, à des échelles différentes, dans les entreprises, les lieux de formation, les quartiers, les villes, un pays, voire internationalement. Et ce socialisme ne pouvait surgir, se construire, gagner qu’à travers les luttes de celles et ceux d’en bas, toutes.tous les opprimé.e.s et les exploité.e.s. D’où notre tâche prioritaire : contribuer à les organiser pour favoriser cette perspective d’émancipation. Le mouvement politique que nous formions était un instrument pour ce faire. Concrètement au début des années 1972, à la fondation de la section de LMR-PSO à Bienne, les espoirs se nourrissaient des expériences de l’Unité populaire au Chili (1970-73), de la résistance du peuple vietnamien à l’impérialisme américain, des mouvements antifranquistes en Espagne, mais aussi des grèves ouvrières, comme celle de Lip à Besançon (1973) ou de Burger et Jacobi à Bienne (juin 1974) ou encore des mouvements de libération des femmes. D’où de multiples activités et réflexions qui se chevauchaient sur divers terrains et sujets.

Une grille de lecture des processus révolutionnaires

Nous avions une compréhension de la période dans laquelle nous agissions, fortement en lien avec l’histoire du mouvement ouvrier et avec les révolutions anticolonialistes. Nous étions partie prenante de la 4ème Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky, sur la base de sa lutte contre le stalinisme et sa dictature, ainsi que sur celle du constat de la faillite totale de la 3ème Internationale communiste, en particulier avec la victoire du fascisme en Allemagne. Notre socle théorique était le marxisme révolutionnaire et les analyses développées par ce courant politique. Nous disposions et partagions ainsi deux grilles de lecture, complémentaires, qui étaient des références pour nous, à savoir la théorie de la révolution permanente et la dialectique de trois secteurs de la révolution mondiale :

  • L’expression « révolution permanente » vient de Marx et Engels qui avaient réalisé qu’en Allemagne la révolution bourgeoise (libérale et démocratique) et la révolution prolétarienne ne seraient pas des étapes séparées historiquement. Trotsky avait également recommencé à théoriser la révolution permanente après l’échec de la révolution de 1905 en Russie, considérant qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que la bourgeoisie russe dirige une révolution libérale et démocratique. Cette position était liée à son analyse du capitalisme russe. C’est ce qu’il appellera « le développement inégal et combiné », analyse qu’il a généralisée aux différents pays dominés dans le cadre de l’impérialisme, auxquels il restait à accomplir des tâches révolutionnaires bourgeoises, comme l’abolition des rapports féodaux, une réforme agraire radicale ou la conquête d’une réelle indépendance nationale. La théorie de la révolution permanente nous permettait de saisir, pensions-nous, les dynamiques des révolutions anticolonialistes de l’époque, notamment en Algérie, à Cuba, au Vietnam, en Amérique centrale.
  • En ce qui concerne la dialectique des trois secteurs de la révolution mondiale, nous faisions référence aux tâches stratégiques auxquelles est confronté le prolétariat dans trois catégories de pays :
  1. les pays impérialistes – le changement radical des rapports de propriété, une révolution anticapitaliste
  2. les pays coloniaux et semi-coloniaux – la dynamique de la révolution permanente
  3. les états ouvriers bureaucratiquement dégénérés – la révolution politique, antistalinienne et radicalement démocratique.

L’unité du prolétariat, à l’échelle internationale, se réalise dans l’intégration concrète de ces tâches spécifiques, l’humanité confrontée au défi de la création d’une société socialiste, démocratique et sans classes, réalisant son émancipation que dans le cadre d’une révolution mondiale. Aucun combat révolutionnaire, mené dans les trois secteurs de la révolution mondiale n’étant contraire aux intérêts de la classe dans son ensemble, ne doit être subordonné ou freiné au nom d’intérêts dit supérieurs. Cela s’applique particulièrement aux luttes antibureaucratiques du prolétariat dans les états ouvriers bureaucratiquement dégénérés.

Une pensée critique ouverte

Les « bases » théoriques mentionnées ci-dessus, qui rassemblaient l’ensemble des membres de la LMR/PSO, ne constituaient pas un « dogme » ou une « religion ». Elles devaient être réfléchies et critiquées également du point de vue de la pratique et des expériences faites, enrichies par des réflexions nouvelles, des apports théoriques nouveaux, parfois différents de ceux traditionnels du marxisme révolutionnaire. Nous avons essayé d’être, dans notre praxis, un courant non-dogmatique, à l’opposé d’autres courants de la gauche radicale, comme les maoïstes par exemple. Nous nous gardions de devenir une « secte », portant « la bonne parole », avec toutes les ornières que cela peut impliquer. « La liberté c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » écrivait en 1917 Rosa Luxemburg. Ces « bases » théoriques étaient souvent discutées dans le cadre de nos formations et débats internes. Elles sous-tendaient évidemment certains choix d’interventions, d’actions, de priorités de notre mouvement.

Un travail de mémoire, utile pour les luttes d’aujourd’hui ?

Pour comprendre ce travail de mémoire, il convient de se replacer dans la période historique et dans la société de l’époque, dans laquelle nous développions notre mouvement avec ses campagnes et faisions des choix, en rapport avec nos forces et nos réalités. Il s’agit d’un travail de mémoire, effectué par un certain nombre de membres de la LMR/PSO à Bienne, et non d’un travail de critique ou de jugement sur le bienfondé et la pertinence de nos analyses et de nos pratiques à l’époque, en les appréciant aujourd’hui au vu de l’évolution politique et sociale de la société dans laquelle nous vivons. Avec l’espoir que ce travail de mémoire puisse enrichir les luttes actuelles et contribue modestement à relever les défis de la période de crise profonde du système capitaliste dans laquelle nous sommes.

 

Jean-Michel Dolivo